Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’homme sourit à ces questions.

— Vous allez comprendre, monsieur le juge, répondit-il. Quand on voyage en troisième, on éreinte ses vêtements, voilà pourquoi, au départ, j’ai mis ce que j’avais de plus mauvais. En arrivant, quand j’ai senti sous mes pieds le pavé de Paris, je suis devenu comme fou ; j’avais de l’argent, c’était le dimanche gras, je n’ai pensé qu’à faire la noce, et pas du tout à me changer. M’étant amusé autrefois à la barrière d’Italie, j’y ai couru et je suis entré chez un marchand de vins. Pendant que je mangeais un morceau, deux individus près de moi parlaient de passer la nuit au bal de l’Arc-en-ciel. Je leur demande de m’y conduire, ils acceptent, je paye une tournée et nous partons. Mais voilà qu’à ce bal, les jeunes gens m’ayant quitté pour danser, je commence à m’ennuyer à cent sous par tête. Vexé, je sors, et ne voulant pas demander mon chemin, une bêtise, quoi ! je me perds dans une grande plaine sans maisons. J’allais revenir sur mes pas, quand j’aperçois pas loin une lumière ; je marche droit dessus… et j’arrive à ce cabaret maudit.

— Comment les choses se sont-elles passées ?

— Oh !… bien simplement. J’entre, j’appelle, on vient, je demande un verre de dur, on me sert, je m’asseois et j’allume un cigare. Alors, je regarde. L’endroit était affreux à donner la chair de poule. À une table, trois hommes avec deux femmes buvaient en causant tout bas. Il paraît que ma figure ne leur revient pas. L’un d’eux se lève, vient à moi et me dit : « Toi, tu es de la police, tu es venu ici pour nous moucharder, ton affaire est claire. » Moi, je réponds que je n’en suis pas, il me dit que si, je soutiens que non…, si… non… Bref, il jure