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cet autre que vous avez attaché, le pauvre innocent. Car il est innocent, vrai comme je suis une honnête femme. Si mon fils Polyte avait été là, il se serait mis entre eux ; mais moi, une veuve, qu’est-ce que je pouvais faire ? J’ai crié à la garde de toutes mes forces…

Elle se rassit, sur ce témoignage, pensant en avoir dit assez. Mais Gévrol la contraignit brutalement de se relever.

— Oh ! nous n’avons pas fini, dit-il, je veux d’autres détails.

— Lesquels, cher monsieur Gévrol, puisque je n’ai rien vu.

La colère commençait à rougir les maîtresses oreilles de l’inspecteur.

— Que dirais-tu, la vieille, fit-il, si je t’arrêtais ?

— Ce serait une grande injustice.

— C’est ce qui arrivera cependant si tu t’obstines à te taire. J’ai idée qu’une quinzaine à Saint-Lazare te délierait joliment la langue.

Ce nom produisit sur la veuve Chupin l’effet d’une pile électrique. Elle abandonna subitement ses hypocrites lamentations, se redressa, campa fièrement ses poings sur ses hanches et se mit à accabler d’invectives Gévrol et ses agents, les accusant d’en vouloir à sa famille, car ils avaient déjà arrêté son fils, un excellent sujet, jurant qu’au surplus elle ne craignait pas la prison, et que même elle serait bien aise d’y finir ses jours à l’abri du besoin.

Un moment, le général essaya d’imposer silence à l’affreuse mégère, mais il reconnut qu’il n’était pas de force, d’ailleurs tous ses agents riaient. Il lui tourna donc le dos, et, s’avançant vers le meurtrier :