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— Ça, dit-il, c’est une autre affaire. Certainement, j’ai tout refusé, mais vous allez voir pourquoi… J’avais les mains prises dans le sac, et les gardiens prétendaient me faire manger comme un poupon à qui sa nourrice donne la bouillie… Ah ! mais non… j’ai serré les lèvres de toutes mes forces. Alors il y en a un qui a essayé de m’ouvrir la bouche de force pour y fourrer la cuillère, comme on ouvre la gueule d’un chien malade pour l’obliger à gober une médecine… Dame !… celui-là j’ai essayé de le mordre, c’est vrai, et si son doigt s’était trouvé entre mes dents, il y restait. Et c’est pour cette raison qu’ils se sont tous mis à lever les bras au ciel, et à dire en me montrant : « Voilà un redoutable malfaiteur, un fier scélérat !  !  ! »

Ce souvenir lui semblait bien réjouissant, car il se reprit à rire de plus belle, à la grande stupéfaction de Lecoq, au grand scandale du bon Goguet, le greffier.

De son côté, M. Segmuller avait grand peine à dissimuler complètement sa surprise.

— Vous êtes trop raisonnable, je l’espère, dit-il enfin, pour garder rancune à des hommes, qui, en vous attachant, obéissaient à leurs supérieurs, et qui, du reste, ne cherchaient qu’à vous sauver de vos propres fureurs.

— Hum !… fit le prévenu, redevenant sérieux, je leur en veux encore un petit peu, et si j’en tenais un dans un coin… Mais ça passera, je me connais, je n’ai pas plus de fiel qu’un poulet.

— Il dépend d’ailleurs de vous d’être bien traité ; soyez calme, et on ne vous remettra pas la camisole de force. Mais il faut être calme…