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à son bureau. Il s’y sentait plus à l’aise, et pour ainsi dire plus fort. Là, il tournait le dos au jour, sa tête s’effaçait dans l’ombre, et au besoin il pouvait, rien qu’en se baissant, dissimuler une surprise, une impression trop vive.

Le prévenu, au contraire, restait en pleine lumière, et pas un des tressaillements de sa face, pas un des battements de sa paupière ne devait échapper à une attention sérieuse.

Il paraissait alors complètement remis, et ses traits avaient repris l’insoucieuse immobilité de la résignation.

— Vous sentez-vous tout à fait mieux ?… lui demanda M. Segmuller.

— Je vais très-bien.

— J’espère, poursuivit paternellement le juge, que vous saurez vous modérer, maintenant. Hier, vous avez essayé de vous donner la mort. C’eût été un grand crime ajouté aux autres, un crime qui…

D’un geste brusque, le prévenu l’interrompit.

— Je n’ai pas commis de crime, dit-il, d’une voix rude encore, mais non plus menaçante. Attaqué, j’ai défendu ma peau, ce qui est le droit de chacun. Ils étaient trois sur moi, des enragés… j’ai tué pour ne pas être tué. C’est un grand malheur, et je donnerais ma main pour le réparer, mais ma conscience ne me reproche pas ça.

Ça… c’était le claquement de l’ongle de son pouce sous ses dents.

— Cependant, continua-t-il, on m’a arrêté et traité comme un assassin. Quand je me suis vu tout seul dans