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glissa sur cet incident, comme s’il n’y eût pas attaché grande importance.

— Et les autres buveurs, reprit-il, ceux qui ont été tués, les connaissiez-vous ?…

— Non, monsieur, ni d’Ève ni d’Adam.

— Et vous n’avez pas été surprise de voir ainsi arriver chez vous trois inconnus, accompagnés de deux femmes ?

— Quelquefois le hasard…

— Allons !… vous ne pensez pas ce que vous dites. Ce n’est pas le hasard qui peut amener des clients la nuit, par un temps épouvantable, dans un cabaret mal famé comme le vôtre, et situé surtout assez loin de toute voie fréquentée, au milieu des terrains vagues…

— Je ne suis pas sorcière ; ce que je pense, je le dis.

— Donc, vous ne connaissez même pas le plus jeune de ces malheureux, celui qui était vêtu en soldat, Gustave, enfin ?

— Aucunement.

M. Segmuller nota l’intonation de cette réponse, et plus lentement il ajouta :

— Du moins, vous avez bien ouï parler d’un ami de ce Gustave, un certain Lacheneur ?

À ce nom, le trouble de l’hôtesse de la Poivrière fut visible, et c’est d’une voix profondément altérée, qu’elle balbutia :

— Lacheneur ?… Lacheneur ?… Jamais je n’ai entendu prononcer ce nom.

Elle niait, mais l’effet produit restait, et à part soi, Lecoq jurait qu’il retrouverait ce Lacheneur, ou qu’il