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— Bast !…

— Oh !… Il n’y a pas à dire non, je le sens. Mais je ne me plains pas. Je n’ai que ce que je mérite.

Tous les agents, sur ces mots, se retournèrent vers le meurtrier. Ils pensaient qu’il allait profiter de cette déclaration pour renouveler ses protestations d’innocence.

Leur attente fut déçue : il ne bougea pas, bien qu’il eût très-certainement entendu.

— Mais voilà, poursuivit le blessé, d’une voix qui allait s’éteignant, ce brigand de Lacheneur m’a entraîné.

— Lacheneur ?…

— Oui, Jean Lacheneur, un ancien acteur, qui m’avait connu quand j’étais riche…, car j’ai eu de la fortune, mais j’ai tout mangé, je voulais m’amuser… Lui, me sachant sans le sou, est venu à moi, et il m’a promis assez d’argent pour recommencer ma vie d’autrefois… Et c’est pour l’avoir cru, que je vais crever comme un chien, dans ce bouge !… Oh ! je veux me venger !

À cet espoir, ses poings se crispèrent pour une dernière menace.

— Je veux me venger, dit-il encore. J’en sais long, plus qu’il ne croit… je dirai tout !…

Il avait trop présumé de ses forces.

La colère lui avait donné un instant d’énergie, mais c’était au prix du reste de vie qui palpitait en lui.

Quand il voulut reprendre, il ne le put. À deux reprises, il ouvrit la bouche ; il ne sortit de sa gorge qu’un cri étouffé de rage impuissante.

Ce fut la dernière manifestation de son intelligence. Une écume sanglante vint à ses lèvres, ses yeux se ren-