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vais des blouses à repriser pour mon garçon, je monte à ma chambre qui est au premier.

— Laissant ces individus seuls ?

— Oui, mon juge.

— C’était, de votre part, beaucoup de confiance.

La veuve Chupin secoua mélancoliquement la tête.

— Quand on n’a rien, prononça-t-elle, on ne craint pas les voleurs.

— Poursuivez, poursuivez…

— Alors, donc, j’étais en haut depuis une demi-heure, quand on se met à m’appeler d’en bas : « Eh ! la vieille ! » Je descends, et je me trouve nez à nez avec un grand individu très-barbu, qui venait d’entrer. Il voulait un petit verre de fil-en-quatre… Je le sers, seul à une table.

— Et vous remontez ? interrompit le juge.

L’ironie fut-elle comprise de la Chupin ? sa physionomie ne le laissa pas deviner.

— Précisément, mon bon monsieur, répondit-elle. Seulement, cette fois, j’avais à peine repris mon dé et mon aiguille, que j’entends un tapage terrible dans ma salle. Dare dare je dégringole mon escalier, pour mettre le holà… Ah ! bien, oui !… Les trois premiers arrivés étaient tombés sur le dernier venu, et ils l’assommaient de coups, mon bon monsieur, ils le massacraient… Je crie… c’est comme si je chantais. Mais voilà que l’individu qui était seul contre trois sort un pistolet de sa poche ; il tire et tue un des autres, qui roule à terre… Moi, de peur, je tombe assise sur mon escalier, et pour ne pas voir, car le sang coulait, je relève mon tablier sur ma tête… L’instant d’après, monsieur Gévrol arrivait avec ses agents, on enfonçait ma porte, et voilà…