Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.

extraordinaire de la part d’un homme doué d’une forte volonté, et dont l’imminence du péril et l’espoir du salut devaient décupler l’énergie.

Mais saurait-il se contraindre de même, lorsqu’il serait soumis aux humiliantes formalités de l’écrou de la Permanence, formalités qui, en certains cas, peuvent et doivent être poussées jusqu’aux derniers outrages ?…

Non, Lecoq ne le pouvait supposer.

Sa persuasion était que très-certainement l’horreur de la flétrissure, l’exaspération de toutes les délicatesses violentées, les révoltes de la chair et de la pensée, jetteraient le meurtrier hors de soi et lui arracheraient un de ces mots caractéristiques dont s’empare l’instruction.

C’est seulement quand la voiture cellulaire quitta le Pont-Neuf pour prendre le quai de l’Horloge que le jeune policier parut revenir à lui. Bientôt la lourde machine tourna sous un porche et s’arrêta au milieu d’une cour étroite et humide.

Déjà Lecoq était à terre. Il ouvrit la porte du compartiment où était enfermé le meurtrier, en lui disant :

— Nous sommes arrivés, descendez.

Il n’y avait pas de danger qu’il s’échappât. Une grille s’était refermée, et d’ailleurs une douzaine, au moins, de surveillants et d’agents s’étaient approchés, curieux de voir la moisson de coquins de la nuit.

Délivré, le meurtrier était descendu lestement.

Encore une fois, sa physionomie avait changé. Elle n’exprimait plus que la parfaite indifférence d’un homme éprouvé par bien d’autres hasards.