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ployé marié. Avez-vous pénétré dans un de ces tristes intérieurs ? Le mari, au sortir de son bureau, prend à peine le temps de manger ; c’est alors que commence sa nouvelle existence, son existence nocturne. Il tient des livres pour une maison de commerce, donne des leçons de n’importe quoi, même de français, reçoit les contremarques à la porte d’un théâtre, ou râcle de la contrebasse dans une guinguette de barrière. J’en sais un qui tient un bazar à treize et vingt-cinq. La femme, de son côté, exerce une petite industrie : elle est mercière ou entrepreneuse de confections pour un magasin. Quand ma mère vivait, moi, j’étais correcteur d’un journal du matin ; je doublais ainsi mes appointements, mais j’ai perdu mes yeux.

— Peut-être, interrompit Caldas, y aurait-il moyen de supprimer toutes ces misères.

— Et lequel ?

— Doubler les appointements et tripler le travail. Nous sommes huit dans mon bureau, je parie qu’à trois nous faisons la besogne. Qu’on en congédie cinq, et qu’on répartisse leurs traitements entre les autres.

M. Lorgelin se mit à rire :

— Mon cher enfant, dit-il, il n’est pas un jeune surnuméraire qui n’ait fait ce raisonnement après huit jours de présence. Je vous engage cependant à le garder