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Plusieurs procès récents ont appris aux caissiers infidèles que la fuite à l’étranger est un pitoyable moyen. Le chemin de fer va vite, mais le télégraphe électrique va plus vite encore. La Belgique est à deux pas. À Londres, on retrouve un voleur français en quarante-huit heures par abonnement. L’Amérique même n’est plus un refuge assuré. Prudent et sage, vous êtes resté en vous disant : « Je puis m’en tirer, et, au pis aller, si je succombe, après trois ou cinq ans de réclusion, je retrouverai une fortune. » Bien des gens sacrifieraient cinq ans de leur vie pour 350,000 francs.

— Mais, monsieur, si j’avais fait le calcul que vous dites, je ne me serais pas contenté de 350,000 francs ; j’aurais attendu une occasion et volé un million.

— Oh ! fit M. Patrigent, on ne peut pas toujours attendre.

Prosper réfléchissait, et la contraction de ses traits disait l’effort de sa pensée.

— Monsieur, dit-il enfin, il est un détail que j’ai oublié dans mon trouble, qui me revient à la mémoire et qui peut aider à ma justification.

— Expliquez-vous.

— Le garçon de bureau qui est allé chercher les fonds à la Banque me les a apportés, lorsque je n’attendais plus que son retour pour partir. Je suis sûr, oui, je suis certain d’avoir serré les billets de banque devant lui. Oh ! s’il l’avait remarqué ! Dans tous les cas, j’ai quitté mon bureau avant lui.

— C’est bien, fit M. Patrigent, ce garçon sera entendu. On va maintenant vous reconduire à votre cellule, et, croyez-moi, réfléchissez.

Si M. Patrigent congédiait ainsi brusquement son prévenu, c’est que ce fait nouveau, qui tout à coup se révélait, l’inquiétait. La déposition du garçon de bureau allait avoir une importance énorme. Que penser, si cet homme venait à affirmer qu’il avait vu le caissier renfermer les billets et sortir ? Était-il impossible qu’il eût été d’avance gagné par Prosper ?