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nouvelle de son abandon, il faillit devenir fou de douleur. C’était, paraît-il, un homme énergique, et il avait juré publiquement qu’il tuerait celui qui lui avait enlevé sa maîtresse. On a lieu de croire que depuis il s’est suicidé. Ce qui est prouvé, c’est que peu après le départ de la fille Chocareille, il a vendu les meubles de l’appartement et a disparu. Tous les efforts faits pour retrouver ses traces ont été vains.

Le juge d’instruction s’arrêta un moment comme pour bien donner à Prosper le loisir de la réflexion, et c’est en scandant tous ses mots qu’il ajouta :

— Voilà la femme dont vous aviez fait votre compagne, la femme pour laquelle vous avez volé !…

Cette fois encore, mal servi par les renseignements incomplets de Fanferlot, M. Patrigent faisait fausse route.

Il avait espéré arracher un cri à la passion de Prosper, blessée au vif ; point, il restait impassible. De tout ce qu’avait dit le juge, il n’avait retenu que le nom de ce pauvre commis voyageur qui s’était suicidé, Caldas.

— Avouez au moins, insista M. Patrigent, que cette fille a causé votre perte.

— Je ne saurais avouer cela, monsieur, car cela n’est pas.

— Elle a cependant été l’occasion de vos plus fortes dépenses. Et tenez — le juge tira une facture du dossier — dans le seul mois de décembre dernier, vous avez payé pour elle à un couturier, au sieur Van-Klopen : deux robes de ville, 900 fr. ; une robe de soirée, 700 fr. ; un domino garni de dentelles, 400 francs.

— Tout cet argent a été dépensé par moi librement, froidement, sans entraînement.

— M. Patrigent haussa les épaules.

— Vous niez l’évidence, fit-il. Soutiendrez-vous aussi que ce n’est pas pour cette fille que vous avez renoncé à des habitudes de plusieurs années et cessé de passer vos soirées chez votre patron ?