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Il connaissait le chemin, maintenant, et il marchait un peu en avant du garde de Paris qui l’accompagnait.

Comme il traversait la petite salle basse où se tiennent les agents et les gardes de service, il croisa cet homme à lunettes d’or, qui, dans la salle du greffe, l’avait fixé si longtemps.

— Du courage ! M. Prosper Bertomy, lui dit ce personnage, si vous êtes innocent, on vous aidera.

Prosper, surpris, s’arrêta ; il cherchait une réponse, mais déjà l’homme était passé.

— Quel est ce monsieur ? demanda-t-il au garde qui le suivait.

— Quoi ! vous ne le connaissez pas ! répondit le garde d’un air de surprise profonde, mais c’est M. Lecoq, de la sûreté.

— Qui ça, Lecoq ?

— Vous pourriez bien dire : « Monsieur, » fit le garde de Paris offensé ; ça ne vous écorcherait pas la bouche. M. Lecoq est un homme à qui on n’en conte pas, et qui sait tout ce qu’il veut savoir. Si vous l’aviez eu, au lieu de ce mielleux imbécile de Fanferlot, votre affaire serait depuis longtemps réglée. Avec lui, on ne languit pas. Mais il a l’air d’être de vos connaissances ?

— Je ne l’avais jamais vu avant le jour où on m’a amené ici.

— Il ne faudrait pas en jurer, parce que, voyez-vous, personne ne peut se vanter de connaître la vraie figure de M. Lecoq. Il est ceci aujourd’hui et cela demain ; tantôt brun, tantôt blond, parfois tout jeune, d’autres fois si vieux qu’on lui donnerait cent ans. Tenez, moi qui vous parle, il m’enfonce comme il veut. Je cause avec un inconnu, paf ! c’est lui. N’importe qui peut être lui. On m’aurait dit que vous étiez lui, j’aurais répondu : C’est bien possible. Ah ! il peut se vanter, celui-là, de faire tout ce qu’il veut de son corps.

Le garde de Paris aurait longtemps encore poursuivi la légende de M. Lecoq, mais il arrivait avec son prévenu à la galerie des juges d’instructions.