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misération profonde, Prosper ne put s’empêcher de frissonner.

C’était vrai pourtant : là, derrière cette porte, se trouvait un homme qui allait l’interroger, et selon ce qu’il répondrait, il serait relâché ou le mandat d’amener qu’on lui avait signifié la veille serait converti en mandat de dépôt.

Cependant, faisant appel à tout son courage, il posait déjà la main sur le bouton de la porte, lorsque son gardien l’arrêta.

— Oh ! pas encore, lui dit-il, on n’entre pas comme cela : asseyez-vous, on vous appellera quand votre tour sera venu.

L’infortuné obéit, et son gardien prit place près de lui.

Rien d’affreux, rien de lugubre comme une station dans cette sombre galerie des juges d’instructions.

D’un bout à l’autre est établi contre le mur un grossier banc de chêne, noirci par un usage quotidien. Involontairement on songe que sur ce banc sont venus tour à tour, depuis dix ans, s’asseoir tous les prévenus, tous les voleurs, tous les assassins du département de la Seine.

C’est que tôt ou tard, fatalement, comme l’immondice à l’égout, le crime arrive à cette terrible galerie qui a une porte sur le bagne, l’autre sur la plate-forme de l’échafaud. C’est là, selon la triviale mais énergique expression d’un premier président, le grand lavoir public de tout le linge sale de Paris.

La galerie, à l’heure où Prosper y arriva, était fort animée. Le banc était presque entièrement occupé. À côté de lui, si près qu’il le coudoyait, on avait placé un homme en haillons, à figure sinistre.

Devant chaque porte, qui est celle d’un juge d’instruction, se tenaient des groupes de témoins, où on causait à voix basse. À tout moment, allaient et venaient des gendarmes de Paris, dont les fortes bottes résonnaient sur les dalles, et qui amenaient ou reconduisaient des pri-