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autre qu’un illustre employé de la préfecture de police, M. Lecoq.

Au moment où les agents qui avaient fouillé Prosper, s’apprêtaient à lui faire retirer ses bottes — une lime ou une arme tiennent si peu de place ! — M. Lecoq fit un signe et dit :

— C’est assez.

Les autres obéirent. Toutes les formalités étaient remplies, et enfin on conduisit le malheureux caissier à une étroite cellule ; la porte, à grand renfort de verroux et de serrures, se referma sur lui ; il respira ; il était seul.

Oui, il se croyait seul, bien seul ! il ignorait que la prison est de verre, que l’inculpé y est comme le misérable insecte sous le microscope de l’entomologiste. Il ne savait pas que les murs ont des oreilles toujours béantes, les guichets des yeux toujours fixes.

Il était si sûr d’être seul que toute sa fierté se fondit en un torrent de larmes, son masque d’impassibilité tomba. Sa colère, si longtemps contenue, éclata violente et terrible, comme un incendie qui, ayant longtemps couvé, a desséché toutes les matières inflammables.

Il s’emporta follement, il cria, il eut des imprécations et des blasphèmes. Il meurtrit ses poings aux murailles dans un accès de rage folle et impuissante comme celle de la bête fauve enfermée après le premier moment de stupeur.

C’est que Prosper Bertomy n’était pas ce qu’il paraissait être.

Ce gentleman hautain et correct, sorte de gandin glacé, avait des passions ardentes et un tempérament de feu.

Mais, un jour, vers vingt-quatre ans, l’ambition l’avait mordu au cœur. Pendant que tous ses désirs souffraient, emprisonnés dans sa médiocrité comme un lycéen dans une tunique trop étroite, regardant autour de lui tous ces riches auxquels l’argent donne la baguette des mille et une nuits, il envia leur sort.