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sitez à obéir. Il vous dit encore : « Il y va de ma vie… » Vous ne l’aimez donc pas ? Quoi ! vous ne comprenez pas, malheureuse enfant, qu’en vous conjurant de fuir, de vous cacher, M. Bertomy a ses raisons, raisons impérieuses, terribles…

Ces raisons, M. Fanferlot les avait comprises en mettant le pied dans l’appartement de la rue Chaptal, et s’il ne les exposait pas encore, c’est qu’il les gardait, comme un bon général garde sa réserve, pour décider la victoire.

Mme  Gypsy était assez intelligente pour les deviner.

— Des raisons !… commença-t-elle ; Prosper voudrait donc qu’on ignorât notre liaison !…

Elle demeura un instant pensive, puis le jour tout à coup se faisant dans son esprit, elle s’écria :

— Oui ! je comprends maintenant. Folle que je suis, de n’avoir pas vu cela tout de suite ! En effet, ma présence ici, où je suis depuis un an, serait contre lui une charge accablante. On dresserait l’inventaire de tout ce que je possède, de mes robes, de mes dentelles, de mes bijoux, et on lui ferait un crime de mon luxe. On lui demanderait où il a pris assez d’argent pour me combler à ce point de ne me rien laisser à désirer.

L’agent de la sûreté baissa la tête en signe d’assentiment.

— C’est bien cela, répondit-il.

Mais alors il faut fuir, monsieur, fuir bien vite ! Qui sait si la police n’est pas déjà prévenue, si elle ne va pas se présenter.

— Oh ! fit M. Fanferlot, de l’air le plus dégagé, vous avez le temps, la police n’est ni si habile ni si prompte.

— Peu importe !…

Et laissant seul l’agent de la sûreté, Mme  Nina se précipita dans sa chambre à coucher, appelant à grands cris sa femme de chambre, sa cuisinière, le petit groom lui-même, ordonnant de vider les tiroirs et les armoires, d’entasser pêle-mêle dans des malles tout ce qui lui appartenait, et de se dépêcher surtout, de se presser.