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— Et il ne vous a jamais parlé de son passé ?

— Lui… Vous ne m’avez donc pas entendu ? Je vous l’ai dit, il ne m’aime pas.

L’attendrissement peu à peu avait gagné Mme  Nina. Elle pleurait et de grosses larmes roulaient silencieuses le long de ses joues.

Ce n’était qu’un moment de désespoir. Bientôt elle se redressa, l’œil enflammé par les plus généreuses résolutions.

— Mais je l’aime, moi ! s’écria-t-elle, et c’est à moi de le sauver. Ah ! je saurai parler à son patron, ce misérable qui l’accuse, et aux juges et à tout le monde. Il est arrêté, je prouverai qu’il est innocent. Venez, monsieur, partons, et je vous le promets, avant la fin du jour il sera libre ou je serai prisonnière avec lui.

Le projet de Mme  Gypsy était louable, assurément, et dicté par les sentiments les plus nobles ; malheureusement il était impraticable.

Il avait en outre le tort d’aller à l’encontre des intentions de l’agent de la sûreté.

Si décidé qu’il fût à se réserver les difficultés comme les bénéfices de cette enquête, M. Fanferlot sentait fort bien qu’il ne pourrait dissimuler Mme  Nina au juge d’instruction. Forcément un jour ou l’autre elle serait mise en cause et recherchée. C’est pour cela surtout qu’il ne voulait pas qu’elle se montrât de son propre mouvement. Il se proposait de la faire apparaître quand et comme il le jugerait convenable, afin de s’attribuer à tout hasard et sans vergogne le mérite de l’avoir découverte.

C’est-à-dire que tout d’abord il s’efforça consciencieusement de calmer l’exaltation de la jeune femme. Il pensait qu’il serait aisé de lui démontrer que la moindre démarche en faveur de Prosper serait une folie insigne.

— Que gagnerez-vous, chère madame ? lui disait-il ; rien. Vous n’avez pas, je vous l’affirme, la moindre chance de succès. Et songez que vous allez vous compromettre gravement. Qui sait si la justice ne voudra pas voir en vous une complice de M. Bertomy !