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— Ah ! oui…, interrompit Mme  Gypsy, pourquoi ? Vous serez bien habile, vous, de me le dire. Voici un an que je cherche vainement une réponse à cette question terrible pour moi, et je suis femme !… Mais allez donc deviner la pensée d’un homme si maître de soi que rien de ce qui se passe en son cœur ne remonte à ses yeux. Je l’ai observé comme une femme sait observer l’homme de qui dépend sa destinée, peine perdue ! Il est bon, il est doux, mais il n’offre aucune prise. On le croit faible, on se trompe. C’est une barre d’acier peinte en roseau, que cet homme à cheveux blonds.

Emportée, par la violence de ses sentiments, Mme  Nina laissait voir jusqu’au fond de son âme. Elle était sans défiance, ne pouvant se douter de la qualité de cet homme qui l’écoutait, qui lui était inconnu mais en qui elle voyait un ami de Prosper.

Pour lui, Fanferlot, il s’applaudissait intérieurement de son bonheur et de son adresse. Il n’y a qu’une femme pour tracer un portrait ressemblant. En un moment d’exaltation, elle venait de lui donner les plus précieux renseignements ; il savait désormais à quel homme il avait affaire, ce qui dans une enquête est le point capital.

— C’est qu’on dit, hasarda-t-il, que M. Bertomy est joueur, et le jeu mène loin.

Mme  Gypsy haussa les épaules.

— Oui, c’est vrai, répondit-elle, il joue. Je lui ai vu, sans un tressaillement, perdre ou gagner des sommes considérables. Il joue, mais il n’est pas joueur. Il joue comme il soupe, comme il se grise, comme il fait des folies, sans passion, sans entraînement, sans plaisir. Quelquefois il me fait peur : il me semble qu’il traîne un corps où il n’y a plus d’âme. Ah ! je ne suis pas heureuse, allez ! Jamais je n’ai surpris en lui qu’une indifférence profonde, si immense, que souvent elle m’a paru être du désespoir. Et cet homme-là aurait volé ! Allons donc ! Tenez, vous ne m’ôterez pas de l’idée qu’il y a quelque chose de terrible dans sa vie, un secret, un grand malheur, je ne sais quoi, mais quelque chose.