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foule de petits faits insignifiants des jours précédents ; il donna un sens à certains propos en l’air, il interrogea fort habilement le marquis, et bientôt ses doutes se changèrent en certitude.

Cette conviction que l’homme dont il avait si puissamment aidé les projets payait des assassins et armait contre lui des spadassins, était bien faite pour le transporter de fureur.

Cette trahison lui semblait monstrueuse. Bandit naïf encore, il croyait à la probité entre complices, à cette fameuse probité des coquins, plus fidèles, aime-t-on à dire, que les honnêtes gens à la foi jurée.

À sa colère, un sentiment d’effroi, très-naturel se mêlait.

Il comprenait que sa vie menacée par un scélérat aussi audacieux que Clameran, ne tenait qu’à un fil.

Deux fois le hasard l’avait miraculeusement favorisé, un troisième essai pouvait et même devait lui être fatal.

Jugeant bien son complice, Raoul ne vit plus qu’embûches autour de lui ; il apercevait la mort se dressant sous toutes ses formes. Il craignait également de sortir et de rester chez lui ; il ne s’aventurait qu’avec mille précautions dans les endroits publics, et il redoutait le poison autant que le fer. C’est à peine s’il osait manger ; il trouvait à tous les mets qu’on lui servait des saveurs bizarres, comme un arrière-goût de strychnine.

Vivre ainsi n’était pas possible, et autant désir de vengeance que nécessité de défense personnelle, il résolut de prendre les devants.

La lutte ainsi engagée, sur ce terrain entre Clameran et lui, il comprenait bien qu’il fallait à toute force qu’un des deux succombât.

— Mieux vaut, se disait-il, tuer le diable que d’être tué par lui.

Au temps de sa misère, lorsque pour quelques guinées il risquait insoucieusement Botany-Bay, Raoul n’eût point été embarrassé de tuer le diable. D’un joli coup de couteau, il eût eu raison de Clameran.