— Si on disait vrai, cependant !
À son anéantissement des premières minutes, la colère succédait, une de ces dangereuses colères blanches qui ôtent le libre arbitre, qui jettent un homme hors de soi, qui font commettre des crimes.
— Ah ! disait-il les dents contractées par la fureur, si je connaissais le misérable qui a osé m’écrire ; si je le tenais !…
S’imaginant alors que l’écriture lui apprendrait quelque chose, il se leva et alla prendre dans les cendres le papier fatal. Il le détordit, l’ouvrit, le lissa de son mieux et le plaça sur son bureau.
Il s’appliquait à étudier les caractères, concentrant toutes les forces de son intelligence sur un plein ou sur un délié, sur la forme plus ou moins habile de telle ou telle majuscule.
Ceci, pensait-il, doit être l’œuvre de quelqu’un de mes employés dont j’aurai blessé les intérêts ou l’amour-propre.
À cette idée, il passait en revue son nombreux personnel sans y découvrir personne capable de cette basse vengeance.
Alors il se demanda où cette lettre avait été jetée à la poste, pensant que cette circonstance l’éclairerait peut-être. Il chercha l’enveloppe, la trouva et lut :
« Rue du Cardinal-Lemoine. »
Ce détail ne lui apprenait aucun éclaircissement.
Une fois encore, il revint à la lettre épelant, pour ainsi dire, chaque mot l’un après l’autre, pesant chaque expression, analysant la contexture de toutes les phrases.
On doit, c’est convenu, mépriser absolument une lettre anonyme, l’œuvre d’un lâche, et n’en pas tenir compte.
Que de catastrophes pourtant n’ont pas d’autre origine ! Combien de nobles existences ont été brisées, flétries par quelques lignes qu’un misérable jetait au hasard sur le papier.
Oui, on méprise la lettre anonyme, on la lance au feu, elle brûle… Mais après que la flamme a détruit le pa-