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— Pour ce qui m’est personnel, continua le caissier, j’avais en quelque sorte le droit que je me suis arrogé, ayant dans la maison toutes mes économies, c’est-à-dire une quinzaine de mille francs.

— C’est exact, appuya M. Fauvel, M. Bertomy a cette somme au moins chez moi.

Ce dernier incident vidé, la mission du commissaire de police était terminée, son procès-verbal d’enquête sommaire était clos. Il annonça qu’il allait se retirer et ordonna au caissier de se préparer à le suivre.

D’ordinaire, ce moment où la réalité brutale éclate, où on sent qu’on ne s’appartient plus, qu’on perd sa liberté, ce moment est affreux.

À cette injonction fatale : « Suivez-moi ! » qui ouvre, pour ainsi dire, les portes de la prison, on voit les plus insouciants et les plus endurcis faiblir, verser des larmes et demander grâce.

Prosper, lui, ne perdit rien de ce flegme étudié qu’il affectait, et qu’intérieurement le commissaire de police taxait d’impudence extraordinaire.

Lentement, avec autant de calme et d’aisance que s’il se fut agi tout bonnement d’aller déjeuner en ville, il prit son pardessus, répara le désordre de sa chevelure, prit ses gants et dit :

— Je suis prêt, monsieur, à vous accompagner.

Déjà le commissaire de police avait serré son porte-feuille et salué M. Fauvel.

— Partons ! dit-il.

Ils sortirent, et c’est avec une tristesse morne, les yeux humides de larmes qu’il ne retenait qu’à grand’peine que le banquier les regarda s’éloigner.

— Mon Dieu ! murmura-t-il, que ne m’a-t-on volé le double, et que ne m’est-il permis d’estimer encore mon pauvre Prosper et de le garder près de moi comme autrefois !

C’est Fanferlot, l’homme à l’oreille toujours ouverte, qui recueillit et nota cette phrase, et prompt au soupçon, trop disposé à accorder à autrui un fonds d’astuce égal