Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/413

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’enrichissait et le délivrait d’une domination exécrée. Il ne pensait qu’à sa liberté, de même que Louis ne songeait qu’à Madeleine.

Tout alla d’ailleurs au gré des deux misérables. Le banquier ne daignant pas rappeler les conventions, consentit au remboursement pour l’époque indiquée. Prosper promit que l’argent serait prêt dès le matin.

La certitude du triomphe rendait Louis comme fou. Il comptait les heures, il comptait les minutes.

— Ceci terminé, disait-il à Raoul, je deviens le plus honnête des hommes. J’afficherai, morbleu ! une telle délicatesse qu’il sera bien hardi celui qui osera me soupçonner d’en avoir jamais manqué.

Tout au contraire de son oncle, Raoul était de plus en plus triste. La réflexion lui montrait dans toute sa hideur l’acte atroce.

Raoul était un bandit déterminé, audacieux, terrible quand il s’agissait d’assouvir ses convoitises ; il pouvait voler au jeu avec des yeux riants, frapper son ennemi d’un coup de couteau et dormir après, mais il était jeune.

Il était jeune, c’est-à-dire que le vice ne l’avait pas encore carié jusqu’aux moelles, les corruptions ne s’étaient pas assez amoncelées en son âme pour y étouffer les dernières racines des sentiments généreux.

Le temps où il avait de saines croyances, de nobles fiertés, n’était pas assez éloigné pour qu’il ne lui en restât pas quelque chose.

Animé encore des vaillances de la vingtième année, il ne pouvait s’empêcher de mépriser les lâches, et cette trame ténébreuse, cette lente agonie de deux pauvres femmes sans défense, lui faisaient horreur. Son cœur se soulevait de dégoût en préparant ce rôle de traître, égorgeant sa mère entre deux baisers.

Révolté de la froide et calculante scélératesse de Louis, il eût souhaité, pour se relever à ses propres yeux et s’animer à la tâche, l’excuse du péril bravé.

Mais non, il ne courait nuls risques, il le savait bien,