Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.

veux, dans trois mois, ruinées absolument, sans argent, sans un bijou, sans rien.

Louis de Clameran s’exprimait avec une telle animation, avec une violence de passion si surprenante après l’exposé de ses combinaisons, que Raoul n’en pouvait revenir.

— Tu hais donc bien ces malheureuses femmes ? demanda-t-il.

— Moi ! s’écria Louis, dont l’œil étincela, moi les haïr. Tu ne vois donc pas, aveugle, que j’aime Madeleine, comme on aime à mon âge, à en devenir fou ? Tu ne sens donc pas que sa pensée envahit tout mon être, que le désir flambe dans mon cerveau, que son nom, quand je le prononce, brûle mes lèvres ?…

— Et tu n’es ni troublé ni ému à l’idée de lui préparer les plus cuisants chagrins ?

— Il le faut. Est-ce que jamais sans de cruelles souffrances, sans les plus amères déceptions, elle serait à moi ? Le jour où tu auras conduit Mme  Fauvel et sa nièce si près de l’abîme qu’elles en verront le fond, ce jour-là, j’apparaîtrai. C’est quand elles se croiront perdues sans rémission, que je les sauverai. Va ! j’ai su me réserver une belle scène, et j’y saurai mettre tant de noblesse et de grandeur que Madeleine en sera touchée. Elle me hait, tant mieux ! Quand elle verra bien, quand il lui sera démontré que c’est sa personne que je veux et non pas son argent, elle cessera de me mépriser. Il n’est pas de femme que ne touche une grande passion et la passion excuse tout. Je ne dis pas qu’elle m’aimera, mais elle se donnera à moi sans répugnances ; c’est tout ce que je demande.

Raoul se taisait, épouvanté de ce cynisme, de tant de froide perversité. Clameran affirmait son immense supériorité dans le mal, et l’apprenti admirait le maître.

— Tu réussirais certainement, mon oncle, dit-il, sans le caissier adoré. Mais entre Madeleine et toi, il y aura toujours, sinon Prosper lui-même, au moins son souvenir.