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reux ont toujours perdu leurs batailles. Un jour viendra fatalement où, épris de Madeleine, tu nous vendras pour un sourire. Et elle est notre ennemie, et elle est fine, et elle nous guette.

D’un éclat de rire trop bruyant pour être bien sincère, Louis interrompit son neveu.

— Comme tu prends feu tout à coup, dit-il ; tu la hais donc bien, cette belle, cette ravissante Madeleine ?

— C’est elle qui nous perdra.

— Sois franc, es-tu bien sûr de ne la pas aimer ?

Si claire que fût la nuit, Louis ne put voir le mouvement de colère qui contracta les traits de Raoul.

— Je n’ai jamais aimé que la dot, répondit-il.

— Alors, de quoi te plains-tu ? Ne t’en dois-je pas la moitié, de cette dot ? Tu auras l’argent sans la femme, les bénéfices sans les charges.

— Je n’ai pas cinquante ans passés, moi, fit Raoul, avec une nuance de fatuité.

— Assez, interrompit Louis, il a été convenu, n’est-ce pas, le jour où je suis allé t’arracher à la plus affreuse des misères que je resterais le maître.

— Pardon ! tu oublies que ma vie, ou ma liberté à tout le moins, est sur le jeu. Tiens les cartes, mais laisse-moi te conseiller.

Longtemps encore les deux complices restèrent à étudier et à discuter la situation, et il était plus de minuit lorsque Louis songea qu’en s’attardant davantage il risquerait de s’attirer des questions embarrassantes.

— Ne raisonnons pas dans le vide, dit-il à Raoul. Je suis de ton avis ; les choses sont telles qu’il est urgent de prendre un parti. Mais je ne sais me décider au pied levé. Demain, à cette heure, sois ici, j’aurai arrêté notre plan.

— Soit, à demain.

— Et pas d’imprudence d’ici là !

— Mon costume, ce me semble, doit te dire assez que je ne tiens pas à me montrer. J’ai arrangé, à Paris, un alibi si ingénieux, que je défie qui que ce soit de prou-