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— Qui alors ?

— Une ennemie de ta façon, ô mon respectable oncle, une ennemie implacable, Madeleine.

Clameran eut un geste de dédain.

— Oh ! celle-là… fit-il.

— Tu la méprises, n’est-ce pas ? interrompit Raoul, avec l’accent d’une conviction profonde, eh bien, tu te trompes. Elle s’est dévouée au salut de sa tante, mais elle n’a pas abdiqué. Elle a promis de t’épouser, elle a congédié Prosper qui est en train de mourir de douleur, c’est vrai, mais elle n’a pas renoncé à tout espoir. Tu la crois faible, peureuse, naïve, n’est-ce pas ? Erreur. Elle est forte, elle est capable des plus audacieuses conceptions, le malheur lui donnera l’expérience. Elle aime, mon oncle, et la femme qui aime défend son amour comme une tigresse ses petits. Là est le péril…

— Elle a cinq cent mille francs de dot.

— C’est vrai ; et, à cinq pour cent, c’est 12,500 francs chacun. N’importe ! sage, tu renoncerais à Madeleine.

— Jamais ! entends-tu ! s’écria Clameran, jamais. Riche, je l’épouse ; pauvre, je l’épouserais encore. Ce n’est pas sa dot que je veux, à cette heure, c’est elle, Raoul, elle seule… je l’aime !

Raoul parut étourdi de la brusque déclaration de son oncle.

Il recula de trois pas, levant les bras au ciel, avec tous les signes d’une surprise immense.

— Est-ce possible ! répétait-il, tu aimes Madeleine, toi !… toi !…

— Oui, répondit Louis d’un ton soupçonneux, que vois-tu là de si extraordinaire ?

— Rien, assurément, oh ! rien ! Seulement, cette belle passion m’explique les surprenantes variations de ta conduite. Ah ! tu aimes Madeleine ! Alors, oncle vénéré, nous n’avons plus qu’à nous rendre.

— Et pourquoi, s’il te plaît ?

— Parce que, mon oncle, quand on a le cœur pris, on perd la tête. C’est un axiome banal. Les généraux amou-