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rent à travers champs, sans se soucier des plants de maïs qu’ils foulaient aux pieds.

— Maintenant, commença Raoul, quand ils furent à une assez grande distance de la route, je puis, mon cher oncle, te dire ce qui m’amène. J’ai reçu tes lettres, et je les ai lues et relues. Tu as voulu être prudent, je comprends cela, mais tu as été si obscur en même temps que je ne t’ai pas compris. De tout ce que tu m’as écrit, un seul fait ressort clairement : nous sommes menacés d’un grand danger.

— Raison de plus, malheureux, pour veiller au grain.

— Puissamment raisonné. Seulement, oncle cher et vénéré, avant de braver le péril, je tiens à savoir quel il est. Je suis homme à m’exposer, mais j’aime à savoir quels risques je cours.

— Ne t’ai-je pas dit d’être tranquille ?

Raoul eut ce geste narquois du gamin de Paris raillant la crédulité naïve de quelque bon bourgeois.

— Alors, fit-il, je dois avoir en toi, cher oncle, pleine, et entière confiance.

— Certainement. Tes doutes sont absurdes, après ce que j’ai fait pour toi. Qui donc est allé te chercher à Londres, où tu ne savais que devenir ? Moi. Qui donc t’a donné un nom et une famille, à toi ; qui n’avais ni famille ni nom ? Encore moi. Qui travaille en ce moment, après t’avoir assuré le présent, à te préparer un avenir ? Moi, toujours moi.

Pour bien écouter, Raoul avait pris une pose grotesquement sérieuse.

— Superbe ! interrompit-il, magnifique, splendide !… Pourquoi, pendant que tu y es, ne me prouves-tu pas que tu t’es sacrifié pour moi ? Tu n’avais nul besoin de moi, n’est-ce pas, lorsque tu es venu me chercher ? Allons, va, démontre-moi que tu es le plus généreux et le plus désintéressé des oncles ; tu demanderas le prix Montyon et j’apostillerai ta demande.

Clameran se taisait, il redoutait les entraînements de sa colère.