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Il descendait, en effet, après avoir serré dans un compartiment secret de la malle la lettre de Lafourcade.

Désormais, il était décidé à un emprunt. Ayant une bonne somme en poche, jointe à ce qu’il possédait déjà, il passerait, en Amérique, et, ma foi ! Raoul se tirerait d’affaire comme il pourrait.

Certes, il était désolé de voir manquer la plus belle combinaison qu’il eût imaginée en sa vie, mais l’homme fort ne s’indigne pas sottement contre la destinée, il tire des événements le meilleur parti possible.

Dès le lendemain même, se promenant, à la tombée de la nuit, avec Gaston, sur la jolie route qui mène de l’usine à Oloron, il entama le prologue d’une petite histoire dont la conclusion devait être un emprunt de 200,000 francs.

Ils allaient doucement, se donnant le bras, lorsqu’à un kilomètre environ de la forge, ils croisèrent un tout jeune homme, vêtu comme les ouvriers qui font leur tour de France, et qui, en passant, les salua.

Une commotion si terrible secoua Louis que Gaston en reçut le contre-coup.

— Qu’as-tu ? demanda-t-il tout étonné.

— Rien. J’ai heurté du bout du pied une pierre qui m’a fait mal.

Il mentait, et le tremblement de sa voix eût dû le dire à Gaston.

S’il était si ému, c’est que, dans ce jeune ouvrier, il avait reconnu Raoul de Lagors.

De ce moment, Louis de Clameran fut anéanti.

La surprise, une épouvante instinctive, paralysaient, anéantissaient absolument sa verve audacieuse et parleuse. Il n’était plus à la conversation.

Il marchait, toujours à côté de son frère, le long de la route poudreuse, mais il allait à la manière des automates, en vertu de l’impulsion acquise.

Il semblait écouter, il écoutait peut-être, mais les mots arrivaient sans signification à son oreille, il n’entendait pas, et c’est machinalement, grâce à ce surprenant dé-