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Ces seuls mots rompirent le charme. Le caissier abandonna cette main si blanche qu’il tenait, et c’est du ton le plus amer qu’il répondit :

— Oui, c’est bien Prosper, votre compagnon d’enfance, soupçonné, accusé aujourd’hui du vol le plus lâche et le plus honteux ; Prosper, que votre oncle vient de livrer à la justice, et qui, avant la fin de la journée, sera arrêté et jeté en prison.

Madeleine eut un geste du plus sincère effroi, ses yeux exprimèrent une compassion profonde.

— Grand Dieu ! s’écria-t-elle, que voulez-vous dire ?

— Quoi, mademoiselle, vous ne le savez pas ? Madame votre tante, vos cousins ne vous ont rien dit ?

— Rien. J’ai à peine vu mon cousin ce matin, et ma tante est si souffrante que je venais tout inquiète chercher mon oncle. Mais, de grâce, parlez, dites, que vous arrive-t-il ?

Le caissier hésita. Peut-être eut-il l’idée d’ouvrir son cœur à Madeleine, de lui découvrir ses pensées les plus secrètes : un souvenir du passé, qui traversa son cœur, glaça sa confiance. Il secoua tristement la tête et dit :

— Merci, mademoiselle, de cette preuve d’intérêt, la dernière sans doute que je recevrai de vous ; mais permettez-moi, en me taisant, de vous épargner un chagrin, de m’épargner la douleur de rougir devant vous.

Madeleine l’interrompit d’un geste impérieux.

— Je veux savoir, prononça-t-elle.

— Hélas ! mademoiselle, répondit le caissier, vous n’apprendrez que trop tôt mon malheur et ma honte ; et alors, oui, alors vous vous applaudirez de ce que vous avez fait.

Elle voulut insister ; au lieu de commander, elle pria, mais la détermination de Prosper était prise.

— Votre oncle est à côté, mademoiselle, reprit-il, avec le commissaire et un agent de police, ils vont revenir ; de grâce, retirez-vous, qu’ils ne vous voient pas…

Tout en parlant, il la repoussait doucement, bien qu’elle résistât un peu, et il parvint à refermer la porte.