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tine, ne vous a donc pas fait savoir que j’étais sauvé. Elle m’avait juré qu’elle irait trouver notre père.

Louis prit cet air navré d’un homme forcé bien malgré lui de révéler une lamentable vérité.

— Hélas ! murmura-t-il, elle ne nous a rien fait dire.

Une bouffée de colère passa comme l’éclair dans les yeux de Gaston. Peut-être l’idée lui vint-elle que Valentine avait été heureuse de se débarrasser de lui.

— Rien ! s’écria-t-il, elle n’a rien dit. Elle a eu la barbarie de vous laisser pleurer ma mort, elle a laissé mon vieux père mourir de chagrin. Ah ! c’est qu’elle avait une peur terrible des propos du monde : elle m’a sacrifié à sa réputation.

— Mais toi, interrompit Louis, pourquoi n’as-tu pas écrit ?

— J’ai écrit dès que je l’ai pu, et c’est par Lafourcade que j’ai appris que notre père n’était plus, et que tu avais abandonné le pays.

— J’ai quitté Clameran, parce que je te croyais mort.

Gaston se leva et fit, au hasard, quelques pas dans le salon. Il voulait secouer la tristesse qui l’envahissait.

— Bast ! murmura-t-il, pourquoi s’inquiéter de ce qui est passé ? Tous les souvenirs du monde, bons ou mauvais, ne valent pas la plus mince espérance, et Dieu merci ! l’avenir est à nous.

Louis se taisait. Il ne connaissait pas encore assez le terrain pour risquer une question.

— Mais je suis là que je bavarde, reprit Gaston ; je parle, je parle et tu n’as peut-être pas dîné.

— Je t’avouerai que non.

— Et tu ne disais rien !… Mais moi non plus je n’ai pas dîné encore. Pour le premier jour, j’allais te laisser mourir de faim. Ah ! j’ai un certain vin du Cap !…

Il se pendit aux sonnettes ; en un moment, la maison fut sur pied, et, une demi-heure plus tard, les deux frères s’asseyaient devant une table somptueusement servie.

La conversation entre les deux frères devait être in-