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— Est-ce bien lui ? Et si c’est lui, sait-il, se doute-t-il ?…

Si grande était son anxiété, qu’au moment où il avait aperçu Gaston descendant l’escalier avec la rapidité de l’ouragan, il avait eu la tentation de fuir.

S’il n’avait pas prononcé une syllabe, s’il était resté muet, glacé, comme pétrifié, c’est qu’il s’était demandé avec quelles intentions Gaston se précipitait ainsi vers lui.

Maintenant qu’il voyait bien que Gaston était resté le même, bon, confiant, crédule ; maintenant qu’il était presque certain que pas un soupçon n’avait effleuré l’esprit de son frère, il se rassurait et il souriait.

— Enfin, poursuivait Gaston, je ne serai donc plus seul dans la vie ; j’aurai quelqu’un à aimer, quelqu’un qui m’aimera.

Il s’interrompit, puis, brusquement, avec cette incohérence d’idées de toutes les émotions fortes qui rompent l’équilibre du cerveau :

— Es-tu marié ? interrogea-t-il.

— Non.

— Tant pis ! oui, tant pis ! J’aurais voulu te voir le mari de quelque bonne femme bien dévouée, je voudrais te savoir père de braves et beaux enfants. Comme j’aurais ouvert mon cœur à deux battants à tout ce monde-là ! Ta famille aurait été la mienne. Ce doit être si bon, la famille, si doux. Vivre seul, sans une femme adorée qui partage les tristesses et les joies, les épreuves et les succès, ce n’est pas vivre. N’avoir à penser qu’à soi, quelle tristesse ! Mais qu’est-ce que je dis là ? Je t’ai, n’est-ce donc pas assez ? Louis !… J’ai donc un frère, un ami avec qui je puis causer tout haut, comme je cause tout bas avec moi-même !

— Oui, Gaston, oui, un bon ami !…

— Parbleu !… puisque tu es mon frère. Ah, tu n’es pas marié ! Eh bien ! nous ferons ménage tous les deux. Nous allons vivre en garçons, en vieux garçons, heureux comme des dieux ; nous nous amuserons, nous ferons nos