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noré par un jugement. Valentine mariée, il ne voyait plus de but à sa vie.

Il se dit qu’il ne fallait plus croire à rien, puisque, elle, Valentine, elle l’avait renié, oublié ; puisqu’elle n’avait pas eu la force de garder ses serments, la patience de l’attendre.

Dans son désespoir, il regrettait presque le Tom-Jones. Oui, il regretta le sinistre équipage négrier, sa vie d’aventures et d’émotions, les périls et les triomphes de ces audacieux forbans qui meurent sur des sacs de dollars, ou à vingt pieds en l’air, accrochés, au bout d’une vergue.

Mais il n’était pas homme à se laisser abattre.

— Gagnons donc de l’argent ! s’écria-t-il avec rage, puisqu’il n’y a que l’argent ici-bas qui ne trompe jamais.

Et il se mit à l’œuvre, avec une âpre activité, fouettée, chaque matin, par une volonté nouvelle.

Tous les moyens de fortune qu’offre aux aventureux l’empire du Brésil, Gaston les tenta.

Tour à tour, il spécula sur les peaux, il exploita une mine, il tenta des défrichements. Cinq fois il se coucha riche et se réveilla ruiné ; cinq fois, avec la patience du castor dont le courant emporte la hutte, il recommença l’édifice de sa fortune.

Enfin, après de longues, bien longues années de luttes, il possédait près d’un million réalisable, et de vastes étendues de terrain.

Il s’était dit que jamais il ne quitterait le Brésil, qu’il finirait ses jours à Rio ; il comptait sans cet amour du sol natal, qui jamais ne s’éteint dans le cœur d’un Français.

Riche, il voulut mourir en France.

Aussitôt il fit les démarches indiquées par sa situation. Il s’assura que, rentrant, il ne serait pas inquiété, réalisa ce qu’il put de son avoir, confia le reste à un correspondant et s’embarqua.

Il y avait vingt-trois ans et quatre mois qu’il avait fui