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par centaines, tous les ans, la libre et philanthrope Amérique pour la traite des noirs.

Cette découverte emplit Gaston de colère et de honte, mais il fut assez sage pour dissimuler ses impressions.

Toute son éloquence n’aurait pu dégoûter le digne capitaine Warth d’un trafic dont les profits dépassaient cent pour cent, en dépit des croiseurs français et anglais, malgré les avaries de la cargaison et une foule d’autres risques encore.

Si les hommes de l’équipage avaient pour Gaston une considération relative, c’est que l’histoire des coups de couteau, racontée par le père Menoul au capitaine, avait transpiré. Laisser voir ses opinions, c’était se créer sans nécessité ni utilité une situation impossible.

Il se tut, se jurant bien qu’il déserterait dès que se présenterait une occasion à peu près favorable.

Le malheur est que cette occasion, comme tout ce qu’on attend avec impatience, ne venait pas.

C’est qu’au bout de trois mois M. Warth ne pouvait plus se passer de Gaston. Lui ayant reconnu une intelligence supérieure, il l’avait pris en amitié, il le faisait manger à sa table, il avait, à l’entendre causer, un plaisir infini, il le forçait à faire sa partie de piquet.

Si bien que le second du navire étant venu à mourir, Gaston fut choisi pour le remplacer.

Et c’est en cette qualité qu’il fit deux voyages successifs au golfe de Guinée. C’est comme second qu’il aida à enlever un millier de nègres en deux fois, à les « arrimer, » à les surveiller pendant une traversée de douze ou quinze cents lieues, et enfin à les jeter clandestinement sur les côtes du Brésil.

Il y avait plus de trois ans que Gaston s’était embarqué à Marseille, lorsqu’enfin le Tom-Jones ayant relâché à Rio-Janeiro, il put se séparer du capitaine Warth, un digne homme après tout, et qui jamais ne se serait résigné à ce diabolique et répugnant commerce de chair humaine, sans sa petite Mary, un ange, qu’il voulait doter magnifiquement.