Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/345

Cette page a été validée par deux contributeurs.

possédait pour toute fortune 920 francs, et ce n’est pas avec cette pauvre somme qu’un fugitif qui vient de tuer deux hommes paye son passage à bord d’un bâtiment.

Mais Menoul, vieux matelot, était homme d’expédients.

Pendant que Gaston restait caché dans une ferme de la Camargue, Menoul avait gagné Marseille, et, dès le premier soir, courant les cabarets que fréquentent les matelots, il avait appris qu’il se trouvait en rade un trois-mâts américain, dont le commandant, M. Warth, un marin sans préjugés, se ferait un vrai plaisir de donner asile à un gaillard solide, qui lui serait utile à la mer, sans s’inquiéter de ses antécédents.

Ayant visité le navire et bu un verre de rhum avec le capitaine, le père Menoul était revenu trouver Gaston.

— S’il s’agissait de moi, lui dit-il, j’aurais mon affaire, mais vous !…

— Ce qui vous conviendrait me convient.

— C’est que, voyez-vous, il vous faudra trimer dur. Vous serez matelot, quoi ! Et pour tout dire, le bateau ne m’a pas l’air des plus catholiques et le patron me fait l’effet d’un fier sacripan.

— Il n’y a pas à choisir, répondit Gaston, partons.

Le flair du père Menoul ne l’avait pas trompé.

Il suffit à Gaston d’un séjour de quarante-huit heures à bord du Tom-Jones pour être sûr, à n’en pouvoir douter, que le hasard venait de le jeter au milieu d’une remarquable collection de bandits de la pire espèce.

L’équipage, recruté un peu partout, était comme un échantillon de coquins de tous les pays.

Mais que lui importaient ces gens parmi lesquels il était condamné à vivre pendant des mois !

C’est son corps seul que le navire emportait vers des pays nouveaux. Sa libre pensée se reposait sous les frais ombrages du parc de La Verberie, près de sa bien-aimée Valentine.

Qu’allait-elle devenir, la pauvre enfant, maintenant