La passion est aveugle et sourde. Mme Fauvel ne se souvenait plus des yeux riants de ces deux hommes, le jour où, devant elle, ils semblaient transportés de colère. Elle ne pouvait, elle ne voulait pas croire à une si odieuse comédie.
— C’est impossible, prononça-t-elle, le marquis est vraiment indigné de la conduite de son neveu, et ce n’est pas lui qui jamais lui donnera un mauvais conseil. Quant à Raoul, il est étourdi, léger, vaniteux, prodigue, mais il a bon cœur. La prospérité l’a grisé, mais il m’aime. Ah ! si tu le voyais, si tu l’entendais, quand je lui fais un reproche ! tous tes soupçons s’envoleraient. Quand, les larmes aux yeux, il me jure qu’il sera plus raisonnable, il est de bonne foi. S’il ne tient pas ses promesses, c’est que des amis perfides l’entraînent.
Toujours les mères s’en sont prises, s’en prennent et s’en prendront aux amis. L’ami, voilà le coupable.
Mais Madeleine était trop généreuse pour chercher même à désabuser sa tante.
— Fasse le ciel que tu dises vrai ! murmura-t-elle, mon mariage ne sera pas inutile. Ce soir même nous écrirons à M. de Clameran.
— Pourquoi ce soir, Madeleine ? Rien ne presse. Nous pouvons attendre, traîner, gagner du temps.
Ces mots, ces espérances obstinées, cette confiance en un hasard, en une chimère, en rien, disaient tout le caractère de Mme Fauvel et expliquaient ses infortunes. Craintive, hésitante, indécise, elle n’avait jamais su prendre une de ces fermes résolutions après lesquelles on se défend toute réflexion, tout retour. À l’instant du péril, elle fermait les yeux, comptant sur un de ces miracles qui n’arrivent jamais.
Tout autre était le caractère de Madeleine. Sa timidité cachait une âme virile. Décidée à un sacrifice, elle le faisait complet, absolu : elle fermait la porte aux illusions décevantes, et marchait droit en avant, sans retourner la tête.
— Mieux vaut en finir, chère tante, dit-elle d’un ton