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de ses journées, elle ne cessait de rêver aux moyens de lui préparer une position et de lui assurer une fortune indépendante.

Elle n’avait encore osé lui parler de rien.

À mesure qu’elle le connaissait mieux, qu’il se livrait davantage, elle croyait découvrir en lui tout le noble orgueil de son père et des fiertés si susceptibles, qu’elle tremblait d’être repoussée.

Sérieusement elle se demandait s’il consentirait jamais à accepter d’elle la moindre des choses.

Au plus fort de ses hésitations, le marquis Louis de Clameran vint à son secours.

Elle l’avait revu souvent, depuis ce jour où il l’avait tant effrayée, et à sa répulsion première succédait une secrète sympathie. Elle l’aimait pour toute l’affection qu’il témoignait à son fils.

Si Raoul, insoucieux comme on l’est à vingt ans, se moquait de l’avenir, Louis, cet homme de tant d’expérience, paraissait vivement préoccupé du sort de son neveu.

C’est pourquoi, un jour, après quelques considérations générales, il aborda cette grave question d’une situation :

— Vivre ainsi que le fait mon beau neveu, commença-t-il, est charmant sans doute ; seulement ne serait-il pas sage à lui de penser à s’assurer un état dans le monde ? Il n’a aucune fortune…

— Eh ! cher oncle, interrompit Raoul, laisse-moi donc être heureux sans remords ; que me manque-t-il ?

— Rien en ce moment, mon beau neveu ; mais quand tu auras épuisé tes ressources et les miennes, — et ce ne sera pas long — que deviendras-tu ?

— Bast ! je m’engagerai, tous les Clameran sont soldats de naissance, et s’il survient une guerre !…

Mme  Fauvel l’arrêta en lui mettant doucement sa main devant la bouche.

— Méchant enfant ! disait-elle d’un ton de reproche, te faire soldat !… Tu veux donc me priver du bonheur de te voir ?