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Ce sentiment désolant de sa détresse passée lui donna seul le courage de demander à Joseph les clés du château qu’il se proposait de visiter.

— Il n’y a besoin que de la clé de la grille, monsieur le marquis, répondit Joseph, et encore !…

C’était vrai. Le temps avait fait son œuvre, et l’héroïque manoir de Clameran n’était plus qu’une ruine. La pluie et le soleil, le mistral aidant, avaient émietté les portes et emporté les contrevents en poussière.

Çà et là, on découvrait bien les traces de mains amies, les mains de Saint-Jean et de son fils, qui avaient cherché à retarder la ruine totale ; mais que pouvaient leurs efforts !

Au dedans, la désolation était plus grande encore. Tout le mobilier que Louis n’avait osé vendre était encore en place, mais en quel état ! À peine restait-il quelques lambeaux d’étoffes, des débris de la garniture des lits ; les bois seuls avaient résisté.

C’est à peine si Louis, suivi de Joseph, osait pénétrer dans ces grandes salles où le bruit de ses pas sonnait lugubrement.

Il lui semblait que tout à coup le terrible marquis de Clameran allait se dresser en pied pour lui jeter sa malédiction, pour lui crier :

— Qu’as-tu fait de notre honneur ?

Peut-être sa terreur avait-elle une autre cause, peut-être avait-il trop de raison de se souvenir de cette chute, si fatale à Gaston.

Ce n’est qu’en se trouvant en plein soleil, dans le jardin, qu’il reprit son assurance et se souvint de l’objet de sa visite.

— Ce pauvre Saint-Jean, dit-il, a eu bien tort de ne pas utiliser le mobilier laissé au château, il se trouve détruit sans avoir servi à personne.

— Mon père, monsieur le marquis, n’aurait rien osé déranger sans un ordre.

— Et il avait bien tort. Quant au château, si on n’y prend garde, il sera bientôt perdu comme le mobilier.