Les enfants étaient revenus de l’école, tout barbouillés du jus de ces petites baies qu’on appelle dans le pays des falabrègues, et qui sont le fruit du micocoulier. Louis les avait embrassés et, immobiles, frappés de respect, ils se tenaient dans un coin, regardant avec de gros yeux ébahis.
La grande nouvelle s’était répandue dans le village, et la porte restant ouverte, à tout moment des gens se présentaient qui venaient saluer le marquis de Clameran.
— Je suis un tel, monsieur le marquis, ne me reconnaissez-vous pas ? Ah ! je vous ai bien reconnu, moi, allez. Le défunt marquis m’aimait bien, affirmait un vieux. — Vous souvenez-vous, disait un autre, du temps où vous me prêtiez vos fusils pour aller à la chasse ?
C’est avec un ravissement intime que Louis recueillait toutes ces protestations, ces marques d’un dévoûment que n’avaient pas affaibli les années.
À la voix de ces braves gens, mille souvenirs oubliés s’éveillaient en lui, et il retrouvait les fraîches sensations de sa jeunesse.
Ainsi donc, nul écho des orages de sa vie, nul soupçon de ses ignominies n’étaient arrivés jusqu’à cet humble village des bords du Rhône.
Lui, l’aventurier, chassé de partout, le héros des maisons de jeu, le spadassin, l’abject complice des escrocs de Londres, il se délectait à ces témoignages de vénération accordée à la famille de Clameran, et il lui semblait qu’ils lui rendaient quelque chose de sa considération et de son estime.
Ah ! si à cette heure il eût possédé le quart seulement de cet héritage jeté au vent d’absurdes fantaisies, avec quelle satisfaction il se serait fixé dans ce village pour finir ses jours en paix !
Mais ce repos après tant d’agitations vaines, ce port après tant de naufrages, lui étaient interdits. Il ne possédait rien ; comment vivre ?