Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux cent mille francs ; moitié courtisan, moitié chevalier d’industrie.

On ne le chassait pas, mais on lui faisait expier cruellement cette faveur d’être encore toléré. On ne se gênait pas avec lui, et ce qu’on pensait de sa conduite, on le disait tout haut.

Aussi, quand il se retrouvait seul, dans son taudis, s’abandonnait-il à des accès de rage folle. Il pouvait bien subir toutes les humiliations, mais non encore ne les plus sentir.

Il y avait d’ailleurs longtemps que l’envie qui le rongeait, que les convoitises qui le torturaient, avaient étouffé en lui jusqu’aux racines des sentiments honnêtes. Pour quelques années d’opulence, il se sentait prêt à tout hasarder, disposé à tenter même un crime.

Il ne commit pas de crime, cependant, mais il se trouva compromis dans une affaire malpropre d’escroquerie et de chantage.

Un vieil ami de sa famille, le comte de Commarin, le sauva, étouffa l’affaire et lui fournit les moyens de passer en Angleterre.

Quels furent, à Londres, ses moyens d’existence ?

Seuls les détectifs de la capitale la plus corrompue de l’univers sauraient le dire.

Descendant les derniers échelons du vice, le marquis de Clameran vécut dans un monde d’escrocs et de filles perdues, dont il partageait les chances et les honteux profits.

Forcé de quitter Londres, il parcourut successivement toute l’Europe, sans autre capital que son audace, sa corruption profonde et son adresse à tous les jeux.

Enfin, en 1865, ayant eu à Hambourg une veine heureuse, il revint à Paris, où il se disait que sans doute on l’avait oublié.

Il y avait dix-huit ans qu’il avait quitté la France.

La première pensée de Louis de Clameran en arrivant à Paris, avant de s’y installer, avant même d’y chercher les ressources qu’il savait trouver ailleurs, fut pour son pays natal.