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Occupé, en apparence, de futiles plaisirs, ce précoce hypocrite souhaitait pour ses passions un théâtre plus vaste, maudissant les nécessités qui l’enchaînaient au pays, à ce vieux château qui lui semblait plus triste qu’une prison et froid comme une tombe.

Il s’ennuyait. Cette existence dépensée à la campagne ou dans les petites villes des environs lui semblait d’une écœurante et intolérable monotonie. Les lisières paternelles, bien faibles pourtant, le blessaient comme un harnais trop étroit pour sa taille. Il avait soif d’indépendance, de bruit, d’argent, de plaisir, de l’inconnu.

Il n’aimait pas son père, il haïssait jusqu’à la frénésie son frère Gaston.

Le vieux marquis lui-même, dans son imprévoyance coupable, avait allumé cette envie dévorante dans le cœur de son second fils.

Observateur de traditions qu’il prétendait les seules bonnes, il avait déclaré cent fois que l’aîné d’une maison noble doit hériter de tous les biens, et que Gaston recueillerait seul ce qu’il laisserait de fortune à sa mort.

Cette flagrante injustice des préférences non dissimulées désolaient l’âme jalouse de Louis.

Souvent Gaston lui avait affirmé que jamais il ne consentirait à profiter des préjugés paternels, qu’ils partageraient tout en bons frères. Louis n’avait pas été touché de ce que, jugeant les autres d’après lui, il appelait la ridicule ostentation d’un faux désintéressement.

Cette haine, dont jamais ne s’étaient doutés ni le marquis ni Gaston, s’était trahie par des actes assez significatifs pour avoir frappé les domestiques.

Ils la connaissaient à ce point, que ce soir funeste où la chute du cheval de Louis livrait Gaston à ses ennemis, ils refusèrent de croire à un accident, et tout bas murmurèrent ce mot : fratricide.

Même une scène déplorable eut lieu entre Louis et Saint-Jean, à qui cinquante ans de services fidèles donnaient une liberté dont il abusait quelquefois, et son franc-parler souvent rude et désagréable.