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a un an de cela, vous avez commencé à nous fuir, et depuis…

Les souvenirs de ce passé évoqué par le banquier se présentaient en foule à l’esprit du malheureux caissier ; peu à peu il s’attendrissait ; à la fin, il fondit en larmes, cachant sa figure entre ses mains.

— On peut tout dire à son père, reprit M. André Fauvel, que l’émotion de Prosper gagnait, ne craignez rien. Un père n’offre pas le pardon, mais l’oubli. Ne sais-je pas les tentations terribles qui, dans une ville comme Paris, peuvent assaillir un jeune homme ? Il est de ces convoitises qui brisent les plus solides probités. Il est des heures d’égarement et de vertige où l’on n’est plus soi, où l’on agit comme un fou, comme un forcené, sans avoir, pour ainsi dire, la conscience de ses actes. Parlez, Prosper, parlez.

— Eh ! que voulez-vous que je vous dise ?

— La vérité. Un homme vraiment honnête peut faillir, mais il se relève et rachète sa faute. Dites-moi : Oui, j’ai été entraîné, ébloui, la vue de ces masses d’or que je remue a troublé ma raison, je suis jeune, j’ai des passions !…

— Moi ! murmura Prosper, moi !

— Pauvre enfant, dit tristement le banquier, croyez-vous donc que j’ignore votre vie, depuis un an que vous avez déserté mon foyer ? Vous ne comprenez donc pas que tous vos confrères vous jalousent, qu’ils ne vous pardonnent pas de gagner douze mille francs par an. Jamais vous n’avez fait une folie que je n’en aie été prévenu par une lettre anonyme. Je pourrais vous dire le nombre de vos nuits passées au jeu et les sommes perdues. Oh ! l’envie a de bons yeux et l’oreille fine. Je sais quel cas on doit faire des lâches dénonciations, mais j’ai dû m’informer. Il n’est que juste que je sache comment vit l’homme auquel je confie ma fortune et mon honneur.

Prosper essaya un geste de protestation.

— Oui, mon honneur, insista M. Fauvel, d’une voix que le ressentiment de l’humiliation essuyée rendait plus