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se rendre de ce pont à Clameran. En tout, plus de cinq lieues.

Aussi, en sortant de La Verberie, se mit-elle à marcher aussi vite que possible. La conscience d’accomplir une action extraordinaire, l’inquiétude, la fièvre du péril bravé lui donnaient des ailes. Elle oubliait la lassitude ; elle ne s’apercevait plus qu’elle avait passé la nuit à pleurer.

Pourtant, malgré ses efforts, il était plus de huit heures quand elle arriva à la longue allée d’azeroliers qui, de la route, conduit à la grande grille du château de Clameran.

Elle allait s’y engager, quand devant elle, à quelques pas, elle aperçut Saint-Jean, le valet de chambre du marquis, qu’elle connaissait bien.

Elle s’arrêta pour l’attendre, et lui, l’ayant vue, hâta le pas. Sa physionomie était bouleversée, ses yeux étaient rouges : on voyait qu’il avait pleuré.

À la grande surprise de Valentine, il n’ôta pas sa casquette en arrivant près d’elle, et c’est du ton le plus grossier qu’il lui demanda :

— Vous allez au château, mademoiselle ?

— Oui.

— Si c’est pour M. Gaston, répondit le domestique, soulignant son odieuse méchanceté, vous avez pris une peine inutile. Monsieur le comte est mort, mademoiselle, pour une maîtresse qu’il avait.

Valentine pâlit sous l’insulte, mais ne la releva pas. Quant à Saint-Jean, qui pensait l’atterrer, il fut stupéfait de son sang-froid et indigné.

— Je viens au château, reprit la jeune fille, pour parler à monsieur le marquis.

— Saint-Jean eut comme un sanglot.

— Alors, fit-il, ce n’est pas la peine d’aller plus loin.

— Pourquoi ?

— Parce que le marquis de Clameran est mort ce matin à cinq heures, mademoiselle.

Pour ne pas tomber, Valentine fut obligée de s’appuyer à l’arbre près duquel elle était debout.