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j’ai compté sur vous, j’ai eu foi en votre amour. Un lien nous unit, ô ma bien-aimée, plus fort et plus indissoluble que tous les liens terrestres : je t’aime. Devant Dieu, tu es ma femme, je suis à toi comme tu es à moi, pour la vie. Me laisserez-vous fuir seul, Valentine ? Aux douleurs de l’exil, aux regrets cuisants de ma vie perdue, ajouterez-vous les tortures de notre séparation ?

— Gaston, je vous en conjure…

— Ah ! je le savais bien, interrompit-il, se méprenant au sens de l’exclamation de son amie ; je savais bien que je ne fuirais pas seul. Je connaissais assez votre cœur pour savoir que vous voudriez la moitié du fardeau de mes misères. Ce moment efface tout. Partons !… Ayant notre bonheur à défendre, je ne crains plus rien, je puis tout braver, tout vaincre. Tenez, ô ma Valentine, nous périrons ou nous nous sauverons ensemble. C’est l’avenir entrevu et rêvé qui commence, avenir d’amour et de liberté !

Il était fou, il délirait ; il avait saisi Valentine par la taille, il l’attirait, il l’emportait.

À mesure que croissait l’exaltation de Gaston, et que de plus il oubliait tout ménagement, Valentine parvenait à dominer son émotion.

Doucement, mais avec une énergie qu’il ne lui soupçonnait pas, elle se débarrassa de son étreinte et le repoussa.

— Ce que vous voulez, dit-elle du ton le plus triste et cependant le plus ferme, ce que vous espérez est impossible.

Cette froide résistance, inexplicable pour lui, sembla confondre Gaston.

— Impossible ! balbutia-t-il.

— Vous ne connaissez assez, continuait Valentine, pour savoir que partager avec vous la pire des destinées serait pour moi le comble des félicités humaines. Mais au-dessus de votre voix qui m’attire, au-dessus de la voix de mon cœur, qui m’entraîne, il en est une plus puissante et plus impérieuse qui me défend de vous suivre, quand même, c’est la voix sublime du devoir.