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Un pressentiment sinistre glaça tout son sang dans ses veines, arrêtant les palpitations de son cœur.

Une voix secrète et impérieuse, au dedans d’elle-même, lui criait qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire et de terrible au château de Clameran.

Quoi ? elle ne pouvait se l’imaginer, mais elle était sûre ; elle eût juré qu’un grand malheur venait d’arriver.

Le regard obstinément attaché sur cette masse noire qui se dressait dans le lointain, elle étudiait les allées et les venues des lumières dans les grandes salles dont elle connaissait la disposition, comme elle eût pu en tirer quelque induction.

Même il lui arriva d’ouvrir la fenêtre et de prêter l’oreille, comme si quelque bruit significatif eut pu arriver jusqu’à elle. Hélas ! elle n’entendit que le fracas sourd et profond du fleuve.

Son inquiétude allait grandissant, plus poignante et plus aiguë de minute en minute, quand tout à coup, à la fenêtre de Gaston, elle aperçut ce signal cher et si connu qui lui annonçait que son ami allait passer le Rhône.

Elle n’en pouvait croire ses yeux, elle voulait douter du témoignage de ses sens, et c’est seulement quand le signal eut été répété trois fois qu’elle y répondit.

Alors, plus morte que vive, sentant ses jambes se dérober sous elle, se tenant aux murs, elle descendit dans le parc et gagna le bord de l’eau.

Grands dieux !… il lui semblait que jamais elle n’avait vu le Rhône si furieux. Était-il possible que Gaston essayât de le traverser ? Plus de doute, un événement affreux devait être survenu.

Elle était tombée à genoux, et les cheveux moites d’une sueur glacée, le cou tendu vers le fleuve, s’efforçant de percer l’obscurité, elle interrogeait les flots impitoyables qui peut-être emportaient le cadavre de son amant.

Tous les objets qui se détachaient en noir au milieu du torrent lui semblaient être le corps de Gaston.