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versé, le long duquel mille débris, fagots et meules de paille, qu’entraînaient les eaux, s’arrêtaient.

L’arbre, sous le poids de Gaston, s’enfoncait, vacillait et craquait terriblement.

De là, il distinguait fort bien tous ceux qui le poursuivaient, hussards et gendarmes ; ils étaient douze à quinze, tant à droite qu’à gauche, et poussaient des exclamations de joie.

— Rendez-vous ! cria le brigadier de gendarmerie.

Gaston ne répondit pas. Il pesait, il évaluait ses chances de salut. Il était bien au-dessus du parc de La Verberie, pourrait-il y aborder, s’il n’était pas du premier coup roulé, entraîné et noyé ? Il songeait qu’en ce moment même, Valentine éperdue errait au bord de l’eau, de l’autre côté, l’attendant et priant.

— Une seconde fois, cria le brigadier, voulez-vous vous rendre ?

Le malheureux n’entendait pas. La voix imposante du torrent, mugissant et tourbillonnant autour de lui, l’assourdissait.

Il en était à cette minute suprême du seuil de l’éternité, où l’homme, en un instant plus rapide que l’éclair, revoit sa vie entière et se juge.

Calme, bien qu’il eût la mort sous ses pieds, Gaston cherchait de l’œil la place où il se précipiterait, et recommandait son âme à Dieu.

— Il faudrait cependant en finir, disaient les gendarmes, il restera là jusqu’à ce qu’on aille le chercher, mettons pied à terre.

Mais Gaston avait achevé sa prière.

D’un geste violent il lança ses pistolets du côté des gendarmes, il était prêt.

Ayant trouvé pour son pied un point d’appui, solide, il fit le signe de la croix, et la tête la première, les bras en avant, il se lança dans le Rhône.

La violence de l’élan avait détaché les dernières racines de l’arbre ; il oscilla un moment, tourna sur lui-même et partit à la dérive.