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aussi était perdue : c’en était fait de sa réputation de jeune fille. Et c’était lui qui, faute de savoir se maîtriser, avait mis en lambeaux cet honneur à lui confié, et auquel il tenait plus qu’au sien même.

Cependant, il ne pouvait rester étendu là. Nul doute que la force armée ne fût prévenue. On le cherchait déjà. On était sur ses traces. On allait à tout hasard venir au château de Clameran, et avant de s’éloigner, peut-être pour toujours, il voulait voir son père, il voulait, une fois encore, serrer Valentine entre ses bras.

Il se leva, mais non sans peine, car la réaction était venue, et ses nerfs et ses muscles, bandés outre mesure, se détendaient ; la sueur du combat et de la course se glaçait sur son corps agité de frissons. Il avait mal partout, mais au côté surtout, et à l’une des épaules. La blessure de son front ne saignait plus guère, seulement le sang s’était figé autour des paupières, et c’est à peine s’il pouvait ouvrir, les yeux.

Quand, après une route affreusement pénible, il sonna à la grille du château, il était plus de dix heures.

À sa vue, le vieux valet qui était venu lui ouvrir, recula terrifié.

Grands dieux ! monsieur le comte, que vous est-il arrivé ?

— Silence ! fit Gaston, de cette voix rauque et brève que donne la conscience d’un danger imminent, silence ! Où est mon père ?

— M. le marquis est dans sa chambre avec M. Louis ; M. le marquis a été pris de sa goutte, ce tantôt, il ne peut bouger ; mais vous, monsieur…

Gaston ne l’entendait plus. Il avait gravi rapidement le grand escalier, et entrait dans la chambre où son père et son frère jouaient au tric-trac.

Son aspect impressionna le vieux marquis à ce point qu’il lâcha le cornet qu’il tenait.

Et, certes, cette impression s’expliquait. Le visage, les mains, les vêtements de Gaston étaient couverts de sang.

Qu’y a-t-il ? demanda le marquis.