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Elle lui fit jurer de ne plus renouveler cet exploit. Il jura, et recommença le lendemain et jours suivants.

Seulement, comme Valentine croyait toujours le voir entraîné par le courant furieux, ils convinrent d’un signal qui devait abréger ses angoisses.

Au moment de partir, Gaston faisait briller une lumière à l’une des fenêtres du château de Clameran, et, un quart d’heure après, il était aux genoux de son amie.

Quels étaient alors les projets et les espérances de Gaston et de Valentine ? Hélas ! ils ne projetaient, ils n’espéraient rien.

Les yeux fermés, sans réflexions, presque sans craintes, ils s’abandonnaient au dangereux bonheur de se voir tous les jours. Sans souci du coup de foudre qui devait les réveiller, ils s’endormaient dans leur félicité présente.

Toute passion sincère n’est-elle pas ainsi ? La passion subsiste par soi et de soi, enflammée par les choses mêmes qui sembleraient devoir l’éteindre : l’absence, les obstacles. Elle est assez exclusive pour ne s’inquiéter de rien, ni de l’avenir, ni des circonstances ; hors la satisfaction actuelle, elle ne voit rien.

D’ailleurs, Valentine et Gaston se croyaient seuls maîtres du secret de leurs amours.

Ils avaient pris, ils prenaient tant et de si minutieuses précautions ! Ils se surveillaient si attentivement ! Ils étaient si bien persuadés que leur conduite était un chef-d’œuvre de dissimulation et de prudence !

Toujours Valentine avait choisi l’heure où elle était certaine que sa mère ne s’inquiéterait pas d’elle.

Jamais Gaston ne s’était ouvert à personne, pas même à son frère Louis.

Ils s’étaient interdit de prononcer leur nom tout haut. Ils se refusaient une minute, un dernier baiser, quand ils pressentaient quelque danger.

Pauvres amoureux naïfs !… Comme si on pouvait dissimuler quelque chose à la perspicacité désœuvrée des campagnes, à la curiosité médisante et toujours en éveil d’esprits vides et oisifs, incessamment en quête d’une sen-