aux lèvres, et l’injure ne venant pas, il chercha des yeux les yeux de M. de Clameran et lentement prononça :
— Je suis, monsieur, le meilleur ami qu’ait eu de son vivant votre frère Gaston. J’étais son conseiller, j’ai été le confident de ses dernières espérances.
Ces simples mots tombèrent comme autant de coups de massue sur la tête de Clameran.
Il pâlit affreusement et recula d’un pas, les mains en avant, comme si là, au milieu de ce bal, il eût vu devant lui se dresser un spectre.
Il voulut répondre, protester, dire quelque chose, l’épouvante glaça les mots dans sa gorge.
— Allons, viens, lui dit Lagors, qui avait gardé son sang-froid.
Et il l’entraîna en le soutenant, car il chancelait comme un homme ivre, il se tenait aux murs.
— Oh ! fit le paillasse, sur trois tons différents, oh !! oh !!!
C’est qu’il était presque aussi étourdi que le maître de forges, et il restait là, dans son embrasure, planté sur ses jambes.
Cette phrase, mystérieusement menaçante, c’est à tout hasard qu’il avait prononcée, sans but, sans intention arrêtée, uniquement pour ne pas rester court, guidé à son insu par cet instinct merveilleux du policier, qui est sa force, comme le flair du limier.
— Qu’est-ce que cela signifie ? murmurait-il. Pourquoi l’effroi de ce misérable ? Quel souvenir terrible ai-je remué dans son âme de boue ? Qu’on vienne donc encore vanter la pénétration de mon esprit, la subtilité de mes combinaisons ! Il est un maître qui, sans peine, nous dame le pion à tous, qui d’un brusque caprice dérange toutes nos chimères, ce maître, c’est le hasard.
Il était à cent lieues de la situation présente, de la galerie, du bal de MM. Jandidier. Un léger coup, frappé sur son épaule par le personnage au manteau vénitien, le rappela brusquement à la réalité.