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Et il sortit, sans saluer ni même toucher le bord de son chapeau, comme il était entré.

— Pas poli, le client, fit le petit Cavaillon, mais il n’a pas de chance, car voici justement Prosper.

Le caissier principal de la maison André Fauvel, Prosper Bertomy, est un grand beau garçon de trente ans, blond, avec des yeux bleus, soigné jusqu’à la recherche et mis à la dernière mode.

Il serait vraiment très-bien s’il n’outrait le genre anglais, se faisant froid et gourmé à plaisir, et si un certain air de suffisance ne gâtait sa physionomie naturellement riante.

— Ah ! vous voilà ! s’écria Cavaillon, on est déjà venu vous demander.

— Qui ? un maître de forges, n’est-ce pas ?

— Précisément.

— Eh bien ! il reviendra. Sachant que j’arriverais tard ce matin, j’ai pris mes mesures hier.

Prosper avait ouvert son bureau, tout en parlant, il y entra refermant la porte sur lui.

— À la bonne heure ! s’écria un des employés, voilà un caissier qui ne se fait pas de bile. Le patron lui a fait vingt scènes parce qu’il arrive toujours trop tard, il s’en soucie comme de l’an quarante.

— Il a, ma foi ! bien raison, puisqu’il obtient tout ce qu’il veut du patron.

— D’ailleurs, comment viendrait-il matin ; un garçon qui mène une vie d’enfer, qui passe toutes les nuits. Avez-vous remarqué sa mine de déterré, ce matin ?

— Il aura encore joué, comme le mois passé ; j’ai su par Couturier qu’en une seule séance il a perdu quinze cents francs ?

— Sa besogne en est-elle moins bien faite ? interrompit Cavaillon. Si vous étiez à sa place…

Il s’arrêta court. La porte de la caisse venait de s’ouvrir et le caissier s’avançait d’un pas chancelant.

— Volé ! balbutiait-il, on m’a volé !…

La physionomie de Prosper, sa voix rauque, le trem-