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Les éclats de cette voix stridente ramenèrent la femme du banquier au sentiment de la réalité ; elle tressaillit et regarda vivement autour d’elle, comme si on l’eût brusquement éveillée, puis elle se pencha du côté du paillasse.

Lui, cependant continuait :

— Donc, messieurs, nous sommes en Chine. Le premier des huit tableaux de ma toile, ici, en haut, à gauche — il le montrait du bout de sa badine — vous représente le célèbre mandarin Li-Fô, au sein de sa famille. Cette jolie jeune dame qui s’appuie sur son épaule n’est autre que son épouse, et les enfants qui se roulent sur le tapis sont le fruit de la plus fortunée des unions. Ne respirez-vous pas, messieurs, le parfum de satisfaction et d’honnêteté qui s’exhale de cette superbe peinture ? C’est que Mme  Li-Fô est la plus vertueuse des femmes, adorant son mari et idolâtrant ses enfants. Étant vertueuse, elle est heureuse, car, ainsi que le dit si bien Confucius, la vertu a bien plus d’agréments que le vice !…

Insensiblement, Mme  Fauvel s’était rapprochée, même elle avait quitté son fauteuil pour venir en occuper un autre, tout près du paillasse.

— Voyez-vous, demandait à son voisin le mélancolique polichinelle, ce qu’il dit être sur sa toile ?

— Ma foi ! non ; et vous ?

Le fait est que la toile, furieusement enluminée, ne représentait guère plus cela que n’importe quelle autre chose.

Le paillasse, cependant, après avoir imité un roulement de tambour, reprenait en accélérant encore son débit :

— Tableau no 2 !  ! Cette vieille dame assise devant une armoire à glace et qui de désespoir s’arrache les cheveux, particulièrement les blancs, la reconnaissez-vous ? Non. Eh bien ! c’est cependant la belle Mandarine du premier tableau. Je vois des pleurs dans vos yeux, mesdames et messieurs. Ah ! pleurez, car si elle n’est plus belle elle n’est plus vertueuse, et son bonheur a disparu comme