Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ses lieutenants, remplissaient les deux hôtels de leurs fanfares. La foule bigarrée se mêlait et tourbillonnait, et c’était un merveilleux fouillis d’étoffes d’or et de satins, de velours et de dentelles.

Les diamants étincelaient sur les têtes et sur les poitrines, les joues les plus pâles rougissaient, les yeux brillaient, et les épaules des femmes resplendissaient, plus blanches, comme les neiges aux premiers rayons du soleil d’avril.

Oublié, lui et sa bannière, le paillasse s’était réfugié dans l’embrasure d’une fenêtre, et il s’y tenait debout, le coude appuyé à la poignée ciselée de l’espagnolette.

Il semblait quelque peu ému de tant de magnificences, et quelque chose de ces enivrements lui montait à la tête. Pourtant il ne perdait pas de vue un couple qui dansait à une faible distance de lui.

C’était Madeleine, s’appuyant sur le bras d’un doge plus doré qu’un sequin ; et ce doge n’était autre que le marquis de Clameran. Il paraissait radieux, rajeuni, ses empressements avaient des apparences de triomphe. À un repos de quadrille, il se penchait vers sa danseuse et lui parlait avec une admiration contenue. Elle semblait l’écouter, sinon avec plaisir, du moins sans colère, hochant la tête par moments et d’autres fois souriant.

— Évidemment murmurait le paillasse, ce noble gredin fait sa cour à la nièce du banquier ; donc j’avais raison hier. Mais, d’un autre côté, comment Mlle  Madeleine se résigne-t-elle à entendre d’un air si gracieux ses fadeurs et ses déclarations ? Heureusement Prosper n’est pas ici…

Il s’interrompit. Devant lui s’arrêtait un homme âgé déjà, portant avec une distinction suprême le manteau vénitien.

Vous savez, monsieur… Verduret, dit-il, moitié sérieux, moitié railleur, ce que vous m’avez promis ?

Le paillasse s’inclina respectueusement, profondément, mais sans apparence de bassesse ni d’humilité :