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La nuit venait. L’estaminet, peu à peu, s’emplissait de consommateurs qui, tous à la fois, criaient pour avoir de l’absinthe ou du bitter.

Les garçons, montés sur des tabourets, approchaient des allumettes des becs de gaz qui s’enflammaient avec de sourdes détonations.

— Il faut filer, dit M. Verduret à Joseph, ton maître peut avoir besoin de toi, et, de plus, voici quelqu’un qui veut me parler. À demain.

— Ce quelqu’un n’était autre que Cavaillon, plus troublé et plus tremblant que jamais. Il promenait de tous côtés des regards inquiets, plus tressaillant qu’un filou qui sait à ses trousses toute la police de Paris.

Lui non plus, il ne s’assit pas à la table de M. Verduret. C’est furtivement qu’il donna une poignée de main à Prosper, et ce n’est qu’après s’être assuré que personne ne l’observait, qu’il se risqua à remettre à M. Verduret un petit paquet en disant :

— Voici ce qu’elle a trouvé dans un placard.

C’était un paroissien richement relié. M. Verduret le feuilleta rapidement, et il eut bientôt trouvé les pages où avaient été découpés les mots collés sur la lettre reçue la veille par Prosper.

— J’avais des preuves morales, dit-il en tendant le livre au jeune homme, voici une preuve matérielle qui à elle seule peut vous sauver.

À la vue de ce livre, Prosper avait pâli. C’est qu’il le reconnaissait. Ce paroissien, c’est lui qui l’avait donné à Madeleine en échange de la médaille bénie.

Et, en effet, sur la première page, Madeleine avait écrit : Souvenir de Notre-Dame-de-Fourvières, 17 janvier 1866.

— Mais ce livre est à Madeleine, s’écria-t-il.

M. Verduret ne répondit pas. Il venait de se lever pour aller à un jeune homme vêtu comme les garçons marchands de vins, qui venait d’entrer.

À peine eut-il jeté les yeux sur un billet que ce garçon lui remit, qu’il revint vers la table dans un état d’agitation extraordinaire.